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The following responses were posted on the H-France discussion list in response to Annie Jourdan’s review of Jean-Marc Largeaud, Napoléon et Waterloo: la défaite glorieuse de 1815 à nos jours. H-France Review Vol. 7 (September 2007), No. 110 The original review may be found on the H-France web page here.

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Date : Sat, 10 Nov 2007 10:37:17

Jean-Marc Largeaud
jean-marc.largeaud@wanadoo.fr

[The following response was delayed by technical difficulties, for which the editors would like to apologise to Professor Largeaud and to listmembers.]

Réponse à Madame Jourdan

Le commentaire de Madame la professeure Jourdan risque d'égarer ses lecteurs. Je me vois donc contraint d'attirer l'attention de chacun sur les points suivants, indispensables pour comprendre le sens de mes travaux et les apprécier selon les règles de la critique historique.

1) Le projet et les intentions échappent à Madame Jourdan : il s'agit d'une généalogie (non d'un "rappel" !) de la culture de la défaite française contemporaine et d'une analyse des sensibilités [1] françaises à la défaite glorieuse saisie à son point de départ, Waterloo.

Elle laisse aussi de côté une très grande partie du livre (Chapitre 1 et 2, chapitre 5 sur l'historiographie, annexesŠ ), ne comprend pas du tout l'intérêt du dernier chapitre (le sixième) en fonction des méthodes de l'histoire culturelle : nous ne sommes pas si nombreux dans la corporation à avoir utilisé à ce point les sources littéraires et artistiques dans l'histoire "totale" d'un événement [2].

2) Il faudrait donc d'abord écrire autrement. Sa conclusion concernant l'incohérence de la structure et le style surprendrait certainement des historiens renommés et même l'auteur du Rivage des Syrtes : en la matière leur avis compte davantage que le sien. Il suffit de comprendre que chaque chapitre est organisé selon une problématique spécifique, en fonction des sources, pour montrer comment on passe de l'événement à la mémoire et au lieu de mémoire idéel. Ce qui est expliqué p.11 à 21 et dans la note historiographique (p.385-391).

Au demeurant, et citation pour citation, je la renvoie sur ces questions à une distinction célèbre entre "l'esprit de finesse "et "l'esprit de géométrie".

3) Il faudrait ensuite ne pas commettre de grosses fautes. Or Madame Jourdan donne dans la désinformation et m'attribue une erreur vraiment grossière qui disqualifierait à tout jamais le livre et son auteur. Elle écrit en effet : "le lion qui orne le sommet serait, à en croire l¹auteur, " un symbole de la haine germanique ". Rien n¹est moins vrai : il est tout simplement l¹emblème de la maison d¹Orange qui l¹y a fait dresser. ".

C'est très précisément ce que j'ai réellement écrit. La décision de Guillaume Ier est indiquée p. 14 et le passage incriminé plus haut est bien situé dans son contexte, celui du mouvement wallon de l'entre -deux -guerres (p.16), ce qui rend parfaitement inutiles les lignes consacrées à cette "erreur". Un historien des mentalités à l'ancienne mode pourrait ici se demander ce que ce passage veut véritablement dire. En cherchant l'implicite il conclurait peut-être ainsi : pour Madame Jourdan adhérer à la thèse du "lion germanique" aujourd'hui est simplement dévoiler des penchants nationalistes, ceux de Français d'avant 1914.

4) Il faudrait aussi avoir écrit autre livre. Les commentaires sur "la dimension européenne peu approfondie" feraient sourire si Madame Jourdan ne se servait de l'argument pour faire d'une pierre deux coups. -Minimiser l'intérêt du livre au prétexte que le versant européen n'est pas suffisamment abordé est pour le moins contestable.

D'abord pour des raisons matérielles, car un chercheur isolé ne pourrait même pas couvrir l'ensemble des sources britanniques et françaises. Faudrait-il alors papillonner de ci de là pour donner des éléments de réponse ? C'est difficile à admettre pour un historien professionnel. Ou madame Jourdan aurait ici un point de vue différent ?

Ensuite parce que l'idée de "lieu de mémoire européen" n'est pas si facile à mettre en ¦uvre comme programme de recherche et pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Il ne suffit pas de juxtaposer des sources d'origines différentes et de clamer les vertus de la notion de lieu de mémoire "européen".

Raison pour laquelle j'ai finalement renoncé à publier toute ma recherche de première main sur l'Espagne et l'Italie, de seconde main sur la RussieŠet la Suède. En conséquence, et afin de mettre en perspective le cas Français, seule l'introduction est effectivement consacrée aux anciens belligérants. Le nombre de lignes consacrées à cette "lacune" par Madame Jourdan est donc hors de proportion avec le texte et littéralement non pertinent. - Mais la" lacune" lui permet de minimiser aussi ce qui a trait au mythe et à la légende de Napoléon ("Limiter l¹enquête à la France réduit néanmoins son intérêt, en raison des conclusions qui pour une grande part recoupent ce que l¹on savait déjà sur le mythe et la légende de Napoléon Bonaparte et le parti qu¹en ont tiré les politiques, les historiens et les bonapartistes de tout temps").

Il vaudrait mieux expliquer au lecteur les sources et méthodes utilisées pour arriver à ce qui est plus qu'une série de recoupements. Les surprises ne manquent dans aucune des familles politiques françaises ou encore dans l'enseignement, dans la littérature et même l'édition à sujet napoléonien (p.383-384). Je ne sache pas par exemple que le comte de Chambord ait déjà été abondamment cité à propos de Waterloo, non plus que Veuillot ou Frédéric Soulié ou encore que le processus de réflexion politique des républicains sur la bataille qui mène au Waterloo de Hugo ait été expliqué aussi nettement. Mais surtout, personne n'avait encore attiré l'attention sur l'art et la manière d'utiliser Waterloo en politique, en littérature, dans les arts en en contextualisant l'usage. Alors s'il n'est question "que de Waterloo" c'est très précisément parce que Waterloo explique en grande partie la fortune posthume de l'empereur et ses variations.

5) Il faudrait approfondir " la question du nationalisme et du militarisme au c¦ur de bien des commémorations républicaines--dont participe Waterloo". Or les questions posées par le militarisme et le nationalisme sont au c¦ur de l'ouvrage, les problèmes idéologiques ou liés aux commémorations diverses sont traités aussi. Je n'ignore pas que les républicains ont su jouer des trompettes guerrières et faire de la surenchère dans le genre militarisme cocardier à toutes les époques de leur histoire. Mais précisément Waterloo est chez les républicains un événement ambivalent écartelé entre pacifisme et révérence guerrière.

6) Il faudrait en rabattre sur l'originalité et l'antériorité française en matière de culture de la défaite. La réponse est négative. Selon Madame Jourdan "le phénomène est en effet intéressant et demanderait à être examiné de plus près notamment dans les autres cultures, qui doivent elles-mêmes le connaître sous une forme ou une autre, n¹en déplaise à Largeaud.". Passons sur le "n'en déplaise", parfaitement déplaisant. Je sais que cet inventaire de la défaite dans d'autres cultures a déjà commencé et des livres qui y sont consacrés se trouvent dans la bibliographie [3] La France n'a pas le monopole de la chose, mais il est facile de voir qu'elle possèdera longtemps une longueur d'avance en ce domaine (une fois n'est pas coutume Š). Le constat est que le recours à la défaite fondatrice, les discours sur les glorieux vaincus dans beaucoup de nationalismes européens du XIXe siècle (pas seulement la Belgique) sont fortement inspirés par l'exemple de la France et de Napoléon. Ce qui n'est pas vrai pour les Etats-Unis par exemple[4]

7) Il faudrait enfin mieux utiliser les bons auteurs. Renan par exemple. Mais dans le passage cité, comme dans d'autres, Renan ne dit rien d'original, en tout cas rien qui exige qu'il soit cité comme une autorité ou une preuve. C'est une partie du discours sur la défaite comme une autre, très connue[5], et qu'il n'y a pas lieu de privilégier.

En ce qui concerne les commentaires fielleux des notes 5) et 6) et les livres insuffisamment cités ou manquants, certes, les ouvrages de Madame Jourdan ne sont pas dans la bibliographie. Il est d'ailleurs sûrement d'autres omissions. Mais au petit jeu du relevé des absences, il lui faudrait aussi réfléchir à ceci : tout ce qui a servi à écrire ce livre ne s'y trouve pas expressément mentionné. La liste des absents est longue. Elle va de Callimaque aux Shadoks en passant par Robert Musil ou le général Custer : tous sont liés à la culture de la défaite. Madame Jourdan aurait tort de voir dans cet aveu de l'irrespect ou de la désinvolture. Simplement la preuve de la distance qui nous sépare en matière d'analyse historique.

[1] A. CORBIN, Historien du sensible, Paris, La Découverte, 2000.

[2] Pour l'insurrection de 1832 à Paris, voir T. BOUCHET, Le roi et les barricades, Seli Arslan, 2000.

[3] Voir entre autres P. CABANEL et P. LABORIE ( dir.), Penser la défaite, Toulouse, Privat, 2002, et P. CENTLIVRES, D. FABRE, F. ZONABEND, La fabrique des héros, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 1999.

[4] D. BLIGHT, Race and Reunion, The Civil War in American memory, Belknap, Harvard, 2001.

[5]Voir par exemple C. DIGEON, La Crise allemande de la Pensée française, 1870-1914, Paris, P. U. F, 1959, et une relecture plus récente de Renan : M. JEISMANN, Das Vaterland der Feinde, Studien zum nationalen Feindbegriff und Selbstverstandnis in Deutschland und Frankreich, 1792-1918, Stuttgart, Klett-Cotta, 1992.

Jean-Marc Largeaud
Université François Rabelais
Tours, France
jean-marc.largeaud@wanadoo.fr

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